20 févr. 2007

Sa sublime voracité!

L'assemblée était agitée. Froissements, frôlements et murmures parcouraient la masse grouillante, agitée de soubresauts de tension liés à l'attente. Le perroquet en queue de pie penché au dessus du feu central se faisait darder de regards emplis d’espoir. Il se raccrochait à son oreillette et consultait sa montre. Les porteurs de miroirs, disséminés dans la salle, offraient leur reflet au public ravi. Le gong annonça le premier round!

« Que celle qui se propose de prendre les rennes de notre groupuscule se présente à vous ce soir, mes chers dévoreurs, pour entendre vos requêtes les plus savoureuses, » tonna le perroquet, « contrairement aux habitudes, vous allez devoir vous restreindre, mes petits voraces. Seulement une exigence par personne ce soir, alors tâchez de ne pas gaspiller votre temps de parole. »

Tonnerres d’applaudissements pendant que la prêtresse ainsi introduite claudiquait vers l’espace central afin de s’offrir aux regards des dévoreurs. Son air mutin ravit le public. Drapée de blanc, elle lançait des œillades curieuses à travers la salle. Il lui fallut se retenir de taper dans les mains d’excitation.

Le perroquet pointa du bec avec détermination et autorité, faisant taire l’assemblée. Les spectateurs, mi-flattés, mi-blasés, tendirent leur cou pour entendre le premier d’entre eux se lancer dans le jeu des requêtes. Un maigrichon se leva et bêla à l’attention de l’invitée. « Prêtresse, je voudrais que tu me fasses retrouver le sommeil, car je suis insomniaque depuis que je suis entré dans l’âge adulte. Retrouver la paix est mon souhait, prêtresse, car j’estime avoir mérité ma part de sommeil. Je suis de ceux qui n’accordent pas de pouvoirs mystérieux aux personnages comme toi, mais tu sembles différente des autres. Serais-tu une exception ? » Une nouvelle vague de chuchotis traversa le public, suspendu au regard de la divine prêtresse.

« Mon cher enfant ! T’entendre est un plaisir inégalable. Ta franchise m’apparaît tel un cadeau céleste et je m’empresserai de satisfaire ton souhait lorsque je me retrouverai à la tête de notre admirable clan. Quant à l’exception, vil flatteur, il est vrai que j’en fais partie. Seuls sept cas semblables au mien ont été répertoriés depuis l’existence de ce monde, capables de manier l’envoûtement et le charme et de discourir à loisir de sujets essentiels. » Sur ces paroles, un flot d’émotions submergea l’assistance. Des mains se tendirent dans l’espoir de toucher la prêtresse, des sanglots d’espoir se mélangèrent aux soupirs d’admiration. Une rangée de personnes se leva, défilant jusqu’à la zone centrale, approchant celle qui fait rêver jusqu’à la toucher… Non, élan interrompu par le perroquet, qui se mit à aboyer sur les touristes jusqu’à les faire se rasseoir. Deuxième round !

Pendant que prêtresse divine se demandait encore si elle aurait dû saisir la balle au bond et aller se vautrer dans le bain de foule qui lui était offert, un autre requérant passa à l’offensive. Il jeta un regard furtif vers un miroir, ajusta son monocle et déplia une feuille froissée. « O, prêtresse, salut à toi. Accepte mon analyse de ta situation, que je daigne t’offrir gracieusement ce soir. » Regards amusés ! « Votre voracité, en admettant que vous regardiez votre montre à sept heures quarante, que la température extérieure soit de onze degrés, que la température extérieure … pardon, et qu’aucun nuage n’obscurcisse l’horizon, et bien notre clan sera en mesure de partager un sommeil général, braves gloutons que nous sommes. Je vous en fais par ce soir, car mon illustre sagesse me l’ordonne ». La prêtresse n’en put plut. Elle lâcha des exclamations enthousiastes, ponctuées de sautillements hystériques et de rires satisfaits. Les enfants se montraient incroyablement adroits et elle fut contente d’assister au spectacle. Le perroquet tout transporté lui aussi, se régalait tout en envoyant des clins d’oeils aux miroirs. La foule en délire scandait des chansons paillardes. Jusqu’à ce que le gong les interrompit pour la troisième fois, pour le dernier round.

La prêtresse eut à peine le temps de planquer son cocktail sous le pupitre avant de se mettre à disposition de l’interlocuteur suivant. Cette fois-ci, une bonne femme trapue et moustachue s’avança. Sa poitrine émettait des sifflements inquiétants et on percevait sa fureur à travers les grommellements préliminaires émis par la dame. Après avoir jeté un regard assassin sur l’invitée, la dame entama sa réclamation : « Prêtresse. Vous ne bernez personne. Je vous le dis ce soir, je vous sais incompétente et insouciante. Vous n’arriverez pas à assumer la tâche pour laquelle pour vous êtes proposée. Qu’avez-vous à répondre à cela? » Ce fut le clou du spectacle qui déclencha l’hystérie collective. La prêtresse rit à gorge déployée et alla féliciter la participante. Les requérants assemblés sautèrent de leur siège et allèrent savourer l’étreinte générale qui s’ensuivit...

A la fin de cette journée, tous fûrent immensément satisfaits d'eux mêmes. Quoique certains eurent déploré le manque de miroirs.

(Toute ressemblance avec des faits réels serait purement fortuite)

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Vorastylé !!!

Verve, imagination et pavillons ouverts sur des mondes fertiles et luxuriants, personnages croqués d'un seul coup de griffe.

Exhubérance des situations, ambiances créées d'un coup de feutre stylé, Lewis Carol n'a qu'a bien se tenir, la Vorastyle Gavrix pose son univers et le laisse découvrir, à moins qu'elle ne nous entraîne dans un univers subtilisé, jungle fever !!!

Gavrix a dit…

Thanks cluster,
Ce croquis est ce qu'il paraît mais il est aussi autre chose, univers subtilisé, comme tu l'as si bien décrit.