7 mars 2007

De l'adorable vanité du monde

Gavrix rêvassait et regardait un facteur s’abreuver dans une rainure de rail de tramway tandis qu’un escadron de pigeons circulait en mobylette. Elle réfléchissait à la vanité de ce monde en dégustant un beignet, assise à la fenêtre d’un café. Les passants défilaient de l’autre côté avec leur progéniture, emballée dans des cocons monstrueux, la face perverse et l’œil retors. Non, assurément, il était préférable de se tapir ici en attendant la trêve.

La patronne à la permanente hirsute arriva en émettant des petits rôts d’excitation. Il était vaguement question d’éteindre les lumières dans l’établissement afin d’offrir aux clients la jouissance des tableaux accrochées ici et là à la lumière des bougies. Il était neuf heures du matin et l’on pouvait s’interroger sur la pertinence d’une telle initiative, mais Gavrix se dit que les magnifiques couleurs fluo de ces productions de l’art ne seraient pas altérées par une telle sauvagerie. Bizarrement, rien ne se passa. Pendant ce temps, les réflexions de Gavrix prirent une tournure préoccupante. Elles dérivèrent de la vision d’une immense horloge murale qu’elle avait aperçue sur le toit de l’immeuble voisin. Elle était encadrée de deux dates que Gavrix ne se donna pas le temps de lire. L’ensemble dégageait une impression bizarre.

Elle se dit qu’elle se verrait bien en costume d’époque, portant une ombrelle et brodant de la dentelle dans un parc. Il ne lui vint pas en tête que les deux activités seraient difficilement cumulables car nécessitant une dextérité manuelle hors norme dont Gavrix n’était malheureusement pas dotée. Elle pourrait même récupérer un adorable petit basset, auquel elle attacherait un ruban qui le rendrait reconnaissable parmi tous les bassets du parc.

Elle fut tirée de ses pensées par le défilé de deux respectables dames qui tentaient désespérément de s’insérer entre la table de Gavrix et une table voisine en charriant des charges embarrassantes, qui se révélèrent être leurs sacs à main. Retenant sa tasse d’une main et rattrapant avec les dents le beignet balayé par les braves visiteuses dans leur course, Gavrix remarqua la présence d’une horloge sur l’un des tableaux déjà mentionnés. Elle se rappela alors qu’elle avait laissé un basset dans le parc. Quand elle revint, il s’était déjà confortablement installé avec ses compères autour d’un feu de camp. Ayant dénoué le ruban jaune que Gavrix lui avait offert, il s’en était servi pour ligoter un facteur qui eut le malheur de passer à proximité. Avec ses complices, il attacha sa victime à un tronc et s’occupait pour le moment à l’enfumer avec des feuilles de chêne desséchées. L’ouvrage de dentelle de Gavrix fut récupéré de manière éhontée pour servir de piège à pigeons, dont plusieurs déjà connurent leur dernière heure, se retrouvant en brochette sur une branche. L’odeur de plumes grillées commença d’occulter le parfum des rosiers.

Gavrix s’apprêtait à faire cesser cette barbarie, lorsqu’elle entendit une petite voix nasillarde. Elle regarda autour d’elle dans le café et se fit la remarque que quelqu’un n’avait décidément pas été gâté par la nature. Elle sursauta lorsque revenant visuellement à sa tasse elle aperçut une main monstrueuse se tendant vers sa cruche à sucre. « Vous permettez, mademoiselle ? », l’une des deux dames était en train de lui parler.

En revenant au parc, elle reconnut difficilement les lieux. Les pelouses auparavant luxuriantes semblaient avoir accueilli une rave party. Plusieurs kiosques avaient été incendiés et finissaient de se consumer. L’odeur de plume grillée était plus présente que jamais. Aucune trace du basset… Elle se précipita vers les grilles d’entrée et trouva de nouveau des pigeons empalés. Il fallait retrouver le basset et comprendre ce qui s’était passé dans cet endroit. Gavrix longea le parc et arriva en ville. Tout autour, le même carnage semblait avoir eu lieu. Des passants effrayés, des cocons de descendance éparpillés, gisant sans défense sur le trottoir. Gavrix remarqua que malgré leur handicap passager, les cocons conservaient leur regard perçant. Elle trébucha sur l’un d’eux et maugréa violemment. Le basset devenait irritant !

Un éclair de génie traversa l’esprit de Gavrix et l’amena vers l’immeuble qui arborait l’horloge. Elle y trouva évidemment le basset et sa troupe, frétillant sur le toit et s’accrochant aux aiguilles, rejouant « Retour vers le futur » pour les yeux de Gavrix. Ne sachant que faire, elle visa sa petite face vicieuse et lui lança le beignet. S’ensuivit un tintement de porcelaine qui alerta Gavrix. Elle revint à elle une nouvelle fois et entendit la voix nasillarde avant d’apercevoir une autre face vicieuse, celle de la dame respectable, furibonde car elle avait en réalité reçu le reste du beignet au visage. Gavrix se sentit de nouveau embarrassée.

Conclusion : les bassets adorables sont souvent indomptables.

Grommellements,

Gavrix

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3 commentaires:

Anonyme a dit…

La barbarie du Beignet n'a d'égale qui la vilainie du basset, dans un texte que n'aurait pas renié Alice si elle avait pu revenir du Pays des Merveilles sans se faire empaler comme un pigeon...

Gavrix a décidément le flair du groin maudit. A enfumer joyeusement jusqu'au bout de la page.

Cleanettte a dit…

surréaliste! on se croirait dans un tableau de Dali

Gavrix a dit…

Anonyme et cleanette!
Le groin maudit use et abuse de son flair pour vous offrir des tableaux de mots.

Gromellements
Gavrix