2 mars 2007

La fascination du sac ou chorégraphie du basset

Gavrix s’est demandé ce qui pouvait émouvoir les lecteurs de groins et noeuds ? Est-ce la vision d’amis qui s’étreignent, un bon livre, la progression d’une courbe boursière ? Gavrix parle de ces instants dont la seule vision apaise et attendrit grâce à un interrupteur subtil de notre esprit.

Pour Gavrix, aussi étonnant que cela soit, la vision d’un être humain en possession d’un sac est des plus attendrissantes. Par conséquent, se retrouver dans un hall de gare en pleine heure de pointe peut s’avérer une expérience divertissante chargée d’émotion.

Imaginez-vous Gavrix pataugeant dans la marée humaine, essuyant les coups de coude et s’adonnant à son activité préférée, la bousculade. Tant qu’elle est à découvert, sa survie dépend de sa capacité à se hisser sur la pointe des pieds ou sur les épaules de ses congénères afin d’aspirer la bouffée d’aire providentielle. Pour avancer, elle se laisse porter par le courant, espérant que celui-ci l’amène à la destination désirée. Gavrix est passablement lassée à présent par ce petit jeu et se sent légèrement tendue, entourée qu’elle est de visages malveillants avançant machinalement vers la sortie. Elle commence à ressentir une légère tension à la nuque et une sirène d’alarme retentit dans sa tête, lui suggérant de préparer un plan de retraite accélérée vers la croissanterie la plus proche. Quand soudain … une poubelle plantée lâchement sur sa trajectoire lui fait baisser les yeux. A cet instant elle passe vers une autre dimension.

Apparaît délicatement l’empire de ces petites choses rembourrées, capitonnées, aux flancs tendus, pendant, flottant, roulant, se blottissant dans le creux du bras. Elles renferment, à l’abri des regards, une multitude de choses personnelles, secrètes, indispensables, futiles et utiles. Autour de Gavrix ne se baladent plus des anonymes agressifs mais des êtres sensibles dont le but secret consiste à transporter soigneusement le contenu de leurs sacs. La dame renfrognée au coup de coude redoutable, est en réalité une acharnée de polars, dont elle transporte deux exemplaires soigneusement emballés dans du papier de soie dans son cabas. Lorsqu’elle s’installe dans le train, elle les extrait de leur inestimable contenant pour se plonger dans son univers secret. Le monsieur compassé cache son carnet de croquis dans sa serviette, car en dehors sa profession estimable de comptable, il est aussi un artiste acharné. Agendas, porte-clés, photos, menue monnaie, notes gribouillées sur une carte de visite, stylos, tubes de rouge à lèvres, téléphones, cartes postales, appareils photos défilent autour de Gavrix, lovés dans leurs précieux récipients. Cette dernière s’est trouvée transportée (dans les deux sens du mot)…

L’autre jour, Gavrix déambulait dans une rue marchande. En levant son nez distrait elle se retrouva nez à nez avec des sacs. Ils trônaient tranquillement dans les vitrines, objets égotistes dans ces miroirs narcissiques. Elle surprit les aspirations humaines qui voletaient autour de ces objets rois, issus de dynasties prestigieuses : Balenciaga, Bottega Venetta, Vuitton… Les espoirs étaient clairement affichés et se battaient en duel pour ces bulles de vie privée, annexes transportables faites pour cacher et envelopper, dans un étui qui lui se plait à s’exhiber. Des clients sortaient des magasins, affublés de ces bulles de vie, tandis que Gavrix restait planté là, en interrogation devant ces incubateurs de l'irrationnel.

Plus tard, Cipollino, personnage à tête d’oignon, tenta de l’enfermer dans son mouchoir, avant de la suspendre au bout du bâton qu’il transportait à son épaule. Elle se débâtit sauvagement avant de se retrouver dans un fourre-tout géant, au milieu de kleenex usagés. La dame renfrognée surgit de l’une des poches, tenant en laisse un basset enragé. Les deux pointèrent leur doigt et leur patte et lui demandèrent pourquoi elle les avait croqués sous sa plume, ce à quoi Gavrix répondit qu’elle n’avait pas croqué le basset et qu’il s’était trahi tout seul. Le basset saisit alors un kleenex et s’en fabriqua un drapeau, sur lequel il marqua « Vuitton ». Il se mit à l’agiter frénétiquement en arpentant le fond du fourre-tout. A ce moment, la dame partit d’un fou rire et croqua dans un croissant. « Mademoiselle ! Mademoiselle !, entendit Gavrix. Faites attention ! » A ces mots, elle revient de sa rêverie. Elle cligne des yeux et regarde autour d’elle. Les passants l’entourent, bizarrement immobiles. Ils sont en train de la regarder. Elle réalise qu’elle est assise par terre, étreignant une valise Louis Vuitton d’une main et la poubelle de l’autre. Un basset la renifle de sa truffe humide. Gavrix se dit qu’elle doit en faire un article.

Les matières intraitables sont souvent redoutables.

Grommellements,

Gavrix

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