21 mars 2007

Ancestor crime ou l’histoire d’un safari improbable (#2/2) Attention, contenu explicite!

Gavrix se retrouva donc dans le hangar mystérieux. Elle aperçut la patronne de café se diriger vers un coin buffet, ployant sous des plateaux de crevettes frites. S’y trouvaient déjà d’autres papys et mamies. Alléchée par l’odeur, Gavrix, se faufila sous les gradins, se rapprochant au maximum du festin afin de tenter d’attraper une crevette à la dérobée.

Le public avait déjà pris l’endroit d’assaut. Plusieurs invités portaient des treillis militaires et des chapeaux d’explorateurs. Des housses de tennis et de divers instruments de musique s’alignaient sur le côté.

L’assemblée réunie là semblait étonnante. Devant un plateau de crudités Gavrix aperçut un vieux publicitaire en veste de smoking par-dessus un T-shirt moulant. Bizarrement, il tenait en laisse deux jeunes personnes, des graphistes probablement, qui se gavaient de petits fours. Equipés de téléphones portables, les deux jeunes filmaient le publicitaire avec placidité et envoyaient les images sur son blog. Le résultat final devait aboutir à quelque chose comme : « Le Publicitaire tenant une coupe de champagne à l’affût des dernières tendances dans un cercle très privé ». Notre héros ajusté était en conversation très agitée avec une fonctionnaire antique qui portait pour l’occasion bermuda et visière. Sa mascotte à elle était un jeune universitaire polyglotte. De temps en temps, la dame cessait sa tirade pour lui demander de dire un mot exotique à l’assistance. Visiblement ravie de sa trouvaille, elle rutilait de plaisir. Pendant ce temps les personnes en treillis semblaient se préparer à ce qui allait suivre. Etait-ce un fusil à lunette que Gavrix venait d’apercevoir ? Cela semblait improbable mais il fallait que Gavrix s’en assure. A ce moment de prise de conscience, elle fut interpellée par une autre vénérable dame qui venait de faire son entrée. Gavrix en oublia sa vision de guerre et s’absorba dans la contemplation. La nouvelle venue était une mamie pincée, pluri-monocle, manies d’ancien médecin. Elle tenait en laisse un jeune violoniste, manifestement mécontent d’être là. De temps en temps, une personne âgée de l’assistance lui demandait d’exécuter une mélodie, ce à quoi il réagissait en soupirant mais en s’exécutant néanmoins sous la puissance martiale du coude de sa maîtresse. A ce stade, Gavrix était outrée.

Peu à peu, les petits fours ayant disparu et le champagne s’étant tari, les convives furent invités à prendre place dans les gradins, au dessus de Gavrix en embuscade. Gavrix entendit une série de pas pesants au fur et à mesure que l’assistance s’installait. Elle vit la cafetière sortir un fusil à lunettes de son sac de sport et se précipiter vers l’arène qui faisait face aux gradins, répliquant à merveille un environnement de savane arborée. Un petit groupe de vieux l’attendait déjà au pied d’un magnifique baobab. Les lumières déclinèrent et le silence se fut.

Plusieurs bétaillères arrivèrent sur les lieux par les portails à l’arrière du hangar. Gavrix retenait sa respiration tout en mâchouillant une chips. Les projecteurs se dirigèrent sur les véhicules au moment où les remorques s’ouvrirent. Des animaux affolés s’en échappaient pour se disséminer dans la savane. Aussitôt, nos petits vieux sautèrent, qui dans un 4x4, qui sur un quad, et prirent en chasse les pauvres bêtes avec des glapissements vindicatifs. Certains animaux étaient abattus en pleine course, d’autres étaient patiemment traqués et débusqués. Les vrombissements de moteurs remplissaient le hangar. Gavrix, tremblant d’effroi, était tapie sous la tribune et attrapait les chips qui lui tombaient dessus d’entre les marches. La vision qui s’offrait à ses yeux à travers la fente de l’escalier était monstrueuse. Gavrix venait seulement de réaliser la portée de ce qui se passait dans l’arène. Au lieu de pauvres animaux, elle voyait des êtres humains, de jeunes congénères pris dans ce safari de l’atroce. Gavrix voyait les ancêtres à l’œuvre… Elle se précipita dehors…

Quand Gavrix osa refaire surface quelques jours plus tard, extirpée de chez elle par une envie irrépressible de beignets frais, elle retourna au café. Elle vit la patronne poussant ses petits rôts, comme d’habitude. Toute trace de cruauté avait quitté son visage, désormais impassible et fripé. Puis, Gavrix se mit à observer autour d’elle, dans le café, dans la rue. Rien n’avait changé et pourtant l’inquiétude ne quitta plus Gavrix. Avait-elle vraiment vu de ces yeux ce safari improbable ? Et quelle était donc la véritable destination des prélèvements obscurs sur les pitances ?

« Mademoiselle, mademoiselle, vous m’entendez ? Mademoiselle, lâchez ce pauvre monsieur.» Brutalement revenue de ses rêveries, Gavrix ouvrit les yeux et vit la patronne et quelques clientes la regarder avec inquiétude. Elle reporta son regard sur ses mains et vit qu’elles serraient le cou d’un vieux monsieur. La pauvre créature paraissait affolée et poussait des cris étouffés. Gavrix avait selon les apparences bâillonné sa malheureuse victime avec un beignet. A sa grande honte, Gavrix vit aussi qu’elle avait étalé devant elle l’agenda de la patronne avec l’inscription « Nourrir le basset et se tenir prête pour 23h ce soir, YS » et tracé « Youth Safari ».


Les pensées improbables sont souvent effroyables.

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